Oui, on a presque un an de retard. En mars 2024, nous avons interviewé Sam Tomlinson (de l'agence Warschawski) au SMX Paris. Plusieurs galères ont fait que la vidéo n'a pas été prête avant juin/juillet... et on s'est dit qu'il était un peu tard pour la sortir. Avant d'apprendre que Sam revenait comme conférencier au SMX Paris 2025 ! N'est-ce pas l'occasion parfaite, un mois et demi avant l'événement, de vous partager la vidéo de son échange avec Laura Blanchard (sous-titrée en français et retranscrite) ? C'est parti !

Ce qu'il faut retenir :

  • Sam Tomlinson multiplie les rôles pour apprendre et évoluer constamment, considérant que changer régulièrement de poste permet d’acquérir de nouvelles perspectives.
  • Il continue de pratiquer et de comprendre le travail de ses équipes, consacrant environ 20-25% de son temps à l’opérationnel pour rester connecté aux réalités du terrain.
  • Google et Meta automatisent de plus en plus le marketing digital, obligeant les spécialistes à apporter une véritable valeur ajoutée pour se démarquer des outils automatisés.
  • Parmi les tendances actuelles, il accorde un fort impact à ChatGPT, Google SGE et TikTok, mais reste sceptique sur le User Generated Content et la recherche vocale.
  • Avec W Ventures, il investit directement dans les start-ups et les accompagne en marketing, créant une relation plus impliquée et risquée que le simple conseil.
  • Il insiste sur l'importance de comprendre les gens, l’économie comportementale et la psychologie, considérant que les compétences techniques peuvent s’apprendre mais que la compréhension du comportement humain est clé.

Retranscription de l’interview de Sam Tomlinson

Laura Blanchard - Sam, bienvenue ! Tu es directeur associé dans une agence marketing basée à Baltimore, tu es aussi co-gérant chez W Venture, conférencier international, membre du Paid Search Association Board et professeur dans 3 écoles. Être directeur associé n'était pas suffisant ?

Sam Tomlinson - Non, pas tout à fait. Toujours un peu plus !

LB - Pourquoi tu aimes faire tant de différents métiers ?

ST - Je trouve que c'est sympa. Tu apprends de nouvelles choses, acquiers de nouvelles perspectives. Si tu n'apprends pas, tu n'évolues pas. Tu passes à côté de quelque chose. Alors j'aime changer de job au bout de quelques années. 

LB - OK. Hier j'ai lu ta newsletter et j'ai découvert que tu parlais de choses très concrètes, comme si tu le faisais. Les fais-tu encore ?

ST - Toujours ! 

LB - OK donc tu es le boss et tu continues de pratiquer.

ST - Je dois le faire. Tu ne peux pas gérer des salariés si tu ne sais pas ce qui se passe. Je ne vais pas demander à quelqu'un de mon équipe quelque chose que je ne connais pas, ou que je n'ai jamais fait. Ce n'est pas comme ça que tu amènes les gens à faire ce qu'ils doivent faire.

LB - Je suis d'accord. Combien de temps tu passes à pratiquer, comparé à ton travail de directeur ?

ST - 20-25%, je dirai. Je suis toujours en relation avec nos clients, je les rencontre et participe toujours à la stratégie. C'est différent désormais. Je fais beaucoup de Looms, c'est sûr ! Parce que je voyage, je travaille sur le business de l'entreprise. Donc tu dois chercher des clients, faire passer des entretiens - en parlant d'engagement. Être au bureau c'est plus dur depuis le COVID, c'est beaucoup de Looms, de vidéos... Et même si je déteste, de Slack !

LB - Oui, pas le choix ! Tu viens juste de donner une conférence, ce que j'en retiens c'est "Pense grand et sois créatif". Qu'est-ce que tu ajouterais ?

ST - Je pense que le plus important c'est de connaître son audience. Tu dois passer plus de temps à penser aux gens et à ton entreprise ; et moins penser à essayer de faire tourner la machine. Il y a de moins en moins de leviers. Ces leviers sont moins engageants qu'avant quand vous les utilisez. Mais le truc qui fait bouger les choses, c'est de comprendre les gens, comprendre l'entreprise et mettre en place ce qu'il faut pour réussir.

LB - C'est vrai. Donc tu es un spécialiste PPC (Pay Per Click) ? 

ST - Oui.

LB - Et je te cite...

ST - Oh oh...

LB - Tu désignes l'évolution de Google et de Facebook "une marche inexorable vers l'automatisation". Qu'est-ce que tu en penses ? 

ST - C'est plutôt vrai. 

LB - Tu l'as écrit ! 

ST - Cette phrase vieillit comme du vin français, formidablement bien ! C'est ce vers quoi ils vont. Ils ne s'en cachent pas, ils le disent. A chaque assemblée d'actionnaires : "on va faire plus d'automatisation, on va pousser encore plus l'automatisation". [Les campagnes] Performance Max continuent d'être poussées de plus en plus. Meta a supprimé des niveaux de ciblage additionnels. Ils ont poussé ASC (Additional Shopping Campaign) très très fort. Ils enlèvent des options manuelles. Ils ont enlevé tout un ensemble d'options d'audiences il y a tout juste un mois.

Tu sais, ça évolue très vite Google, si tu utilises Google Ads, ces dernières semaines aux Etats-Unis, ils ont lancé la création d'annonces avec Gemini. Tu peux indiquer ton site...

LB - Oui, il aide à créer...

ST - Il la crée, il ne fait pas que aider. Il la crée. Il configure tout : il te propose les groupes d'annonces, les mots-clés à choisir, il te rédige l'annonce, il choisit les URL, il crawle ton site... Il fait tout. 

LB - C'est qualitatif ? Le résultat ? 

ST - C'est vraiment médiocre... Mais c'est déjà ça ! Du vraiment médiocre venant d'une IA, ou du vraiment médiocre venant d'un marketer, c'est pareil ! A moins que le marketer ajoute de la valeur pour améliorer l'annonce, pour le rendre meilleur que le travail de la machine.  

LB -  Pour continuer à parler des évolutions, on va jouer à un petit jeu. 

ST - Oh mon dieu...

LB - Sur une échelle de 0 à 5, tu vas évaluer l'impact des tendances marketing que je vais te citer. Donc 5 c'est élevé et 0 c'est rien. Prêt ? ChatGPT ?

ST - 3.

LB - Les cookies tiers ? 

ST - 1.

LB - TikTok ? 

ST - Avant ou après qu'on l'ait banni ? Probablement un 4 avant et un 1 après.

LB - OK. C'est sûr qu'il va être banni ?

ST - Le Congrès Américain n'est d'accord sur rien, ils sont tombés d'accord sur ça. 

LB - Donc pour l'instant l'impact [de TikTok] est grand ?

ST - Pour l'instant l'impact est grand, mais quand ça arrivera, nous allons voir... Les utilisateurs évoluent vite. 

LB - Tu penses qu'ils vont migrer...

ST - Ils vont plus utiliser YouTube Shorts, de nouvelles plateformes vidéo vont émerger pour récupérer cette part de marché. Je pense que TikTok nous a donné de superbes indices sur la façon dont les gens veulent consommer du contenu. Leur interface est très bien conçue : une vidéo à la fois, l'engagement juste là où se trouve votre pouce... Certaines de ces caractéristiques poussent à la viralité à travers les vidéos individuelles plutôt que les comptes. Ce sont toutes des caractéristiques très intelligentes, que TikTok a créé, mais dont ils ne sont pas propriétaires. TikTok nous les a données, on va prendre ce qui a de la valeur, on va laisser le reste. On les copie. C'est la "façon chinoise". 

LB - Oui. Ce qu'ils nous ont fait, on leur fait aussi. Google SGE ? 

ST - Je pense que c'est un 4.

LB - User Generated Content ? 

ST - 1.

LB - Durabilité ? 

ST - Je pense que c'est un 2. Je pense que dans la tête des gens c'est un 4. Mais en réalité, quand on regarde où les gens mettent leur argent... Si on parle de la façon dont les gens votent, c'est un 4, c'est important, si on parle de là où va l'argent, c'est un 2. 

LB - J'aime cette façon de penser. Voice Search ? 

ST - 0.

LB - Et le dernier, l'influence des IA ? 

ST - Je vais donner un 2 ou 3, pas pour ce qu'elles sont pour les gens, mais pour la manière dont les gens vont les accueillir. Suand tu regardes comment les politiciens et les régulateurs les accueillent. Ils en sont terrifiés. Et je pense que cette peur, ce n'est pas pour ce que les IA font, c'est ce que les gens peuvent en faire qui les terrifie. Et c'est pour cette seule raison que les IA auront plus d'influence que le reste.

LB - C'est intéressant, on en reparle dans un an et on verra où on en est. J'ai envie d'approfondir un peu la question de ton job, car comme je l'ai dit tu es co-gérant de W Ventures, donc tu aides les entreprises en croissance, en ne donnant pas seulement de l'argent mais aussi en les aidant en marketing. Comment ça t'aide à être un meilleur consultant de travailler avec ces entreprises ?

ST - Je pense qu'il y a beaucoup d'entreprises qui sont très motivées mais qui n'ont pas les moyens de faire appel à une agence. C'est trop cher, elles n'ont pas encore les fonds pour. Tout a commencé parce que nous étions embauchés par d'autres associés de l'incubateur qui finançaient les entreprises en disant : "Ok, on s'y connaît en finances, en produits, en process, on pense qu'on est bons à ce niveau. Mais si on leur donne 10 millions de dollars, 7 millions de cette somme va au marketing. Ca va créer de la croissance. On ne s'y connaît pas. On n'est pas des experts dans ce domaine. On a besoin de quelqu'un.

Alors ils nous appelleraient et nous pourrions regarder le plan marketing, l'évaluer et nous les aiderions, et nous serions grassement payés pour ça... Mais, nous tous, David notre PDG, Shana notre COO et moi, nous nous sommes assis et nous avons dit : vous savez, nous générons des millions et des millions de dollars pour nos clients. Nous aidons vraiment ces fonds mais nous n'obtenons pas le bon côté. On facture des honoraires, ce qui est bien. Mais ce n'est pas tout ce qu'on peut faire. On peut faire plus, on peut investir. David, notre PDG, a été un Business Angel pendant très longtemps, il a eu beaucoup de succès. J'ai investi dans des start-up et ça a bien marché. Mais nous faisons toutes ces choses individuellement et indépendamment.

Pourquoi ne pas se rassembler et leur dire "Non seulement nous pouvons vous aider avec le financement, mais nous pouvons aussi vous aider avec le marketing, et nous pouvons prendre les mêmes services que nous fournissions à l'entreprise et vous les fournir directement et vous aider à mieux grandir. Et parce qu'on en tire notre rémunération et nos capitaux, on n'est pas payés à moins que ça se passe bien". Il y a beaucoup de  motivations qui sont mal alignées, lorsqu'une agence est payée par certaines start-up, encore et encore, elle ne ressent pas les difficultés de la start-up. Elle ne sent pas l'urgence parce que ce n'est pas son entreprise. 

Donc, en leur disant "On est ensemble. On va prendre le risque avec toi. On croit tellement en ce qu'on peut faire que nous n'allons pas seulement y mettre notre argent, mais on va y consacrer notre temps et nos efforts. Nous ne prenons qu'un certain nombre de clients. Donc vous aurez une place parmi nos clients". Je pense que ça montre à quel point nous sommes investis avec nos entreprises, mais ça leur donne aussi accès à quelque chose qu'ils n'obtiendraient pas autrement. Ils ont quelqu'un qui est un vrai partenaire par rapport à un consultant. Ce qui est bien ! Je n'ai rien contre les consultants. 

Mais ta question est : Comment ça me rend meilleur ? Parce que cela permet de voir à quel point les start-up vont plus vite, elles bougent vite, prennent plus de risques... Quand tu travailles pour une grosse entreprise, la plupart du temps leur première question c'est "Qui a déjà fait ça ?" et historiquement tu dois utiliser des études de cas que tu trouves sur Internet ou tu as dû faire une étude basée sur ces principes. Nous, nous avons des start-up avec qui on peut travailler, nous avons un incubateur tech dans le sport, que nous pouvons utiliser pour ces marques. On peut le faire et vous dire : "non seulement nous croyons que ça fonctionne d'un point de vue théorique, mais nous l'avons effectivement fait avec notre propre argent dans nos propres entreprises et ça a marché, et dans les entreprises dans lesquelles on a mis notre argent et ça a marché aussi. Donc vous, grande entreprise, pourquoi devriez-vous faire ça ? Car nous n'avons pas juste l'idée, nous avons la data pour vous prouver que ça marche et nous pouvons le faire".

Je pense que l'autre raison, c'est que tu veux toujours être avant-gardiste, et les avant-gardistes sont toujours les start-up. 

LB - Parce qu'elles innovent ? 

ST - Parce qu'elles sont toujours l'outsider. Tu veux travailler pour elles. Si tu veux voir le futur, tu dois travailler avec les entreprises du futur. Notre équipe n'aurait pas pu faire ça si nous n'avions pas le fond d'investissement, car les start-up n'auraient pas les moyens de nous payer. Maintenant on peut, maintenant elles peuvent, et maintenant on a l'opportunité de travailler avec certaines des entreprises les plus passionnantes du moment. 

LB - Ce n'est pas aussi plus fun ? 

ST - C'est plus fun et c'est bon pour le moral. Notre équipe adore le fait de pouvoir travailler pour des entreprises passionnantes. C'est motivant ! Et tu veux qu'ils s'amusent, parce que les employés qui sont heureux sont forcément motivés. Et pour nous, ça ne se voit pas seulement dans la qualité du travail, mais dans la longévité de notre équipe. Aux US il y a un gros turnover dans les agences. Ce n'est pas choquant pour les gens en agence de partir au bout de 6, 9 mois. 

LB - Ah oui, très rapide ! 

ST - Très rapide, mais pas surprenant. Dans beaucoup d'autres agences, si je regarde les CV des gens : un an, une agence, un an, une agence, un an, une agence... Pour nous, toute notre équipe senior est là depuis 6 ans, 11 ans, 10 ans, 26 ans... Elle change, elle grandit encore et encore. On ne cache pas que nous avons des postes à pourvoir. Ce n'est pas comme si "Tu ne peux pas être directeur parce que nous en avons déjà un". Non. "Tu as les capacités pour être directeur, tu vas être directeur et tu seras payé comme un directeur". Et c'est génial ! 

Dans l'équipe Paid Search, nous avons une directrice senior et les autres se disaient "Bon, je ne peux pas être promu je suppose ?". Et bien, pourquoi pas ? "Tu es aussi bon qu'elle l'est ? Tu es promu !". Mais c'est seulement possible parce que nous avons cet état d'esprit que tout le monde doit grandir et nous devons développer nos compétences et élargir nos horizons. Tout est très lié ensemble. Et c'est ce qui pousse les gens à rester chez nous. Une grande partie de nos employés sont là depuis 5 ou 6 ans maintenant. 

LB - C'est super. Ca montre quelque chose. 

ST - Et nos clients sont avec nous depuis 10 ans, 4 ans... Aux US, la durée moyenne d'un contrat en agence est de 18 mois. 

LB - Qu'est-ce que tu dirais à quelqu'un qui veut commencer sa carrière dans le marketing digital en 2024 ? 

ST - Je pense que le plus important c'est de penser plus grand que le marketing. Tu dois savoir comment fonctionne une plateforme, oui, mais ça tu peux l'apprendre. Ce que tu dois apporter c'est une compréhension de la façon de faire de la recherche, comment trouver les réponses, comment comprendre les gens, comprendre l'économie comportementale, la psychologie, l'économie et la théorie de la décision. Ce sont les compétences qui feront tout. Si tu peux penser plus grand, tout va bien se passer, parce que je peux t'apprendre beaucoup plus. Je peux te montrer comment ça fonctionne. C'est facile. 

Ce que je ne peux pas t'apprendre, ou plutôt ce qu'il n'est pas facile de t'apprendre, c'est comment les gens fonctionnent. Tu comprends comment les gens fonctionnent, le reste c'est juste technique. Ca c'est le plus important, le reste c'est du détail. 

LB - Une dernière question. Si tu ne faisais pas ce que tu fais aujourd'hui, qu'est-ce que tu ferais ? 

ST - Probablement du private equity. 

LB - Donc de la finance. A l'américaine, capitalisme comme tu l'as dit dans ton speech ! Merci beaucoup Sam. Nous sommes fiers de t'avoir eu ici, merci encore pour ta conférence, c'était très inspirant. Bonne journée !

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